Programme d'inventaire mycologique en haute montagne


Au-delà de la volonté de l’Office de l’Environnement de la Corse de documenter des milieux encore inexplorés, le projet a aussi pour ambition d’apporter des éléments de réponses aux deux questions suivantes :


  • L’aulne odorant, isolé de l’aulne vert depuis l’aire tertiaire, possède-t-il les mêmes champignons associés que son cousin alpin ?
  • Les pozzines corses, prairies humides développées en contexte méditerranéen, hébergent-elles des communautés fongiques comparables à celles des tourbières de montagne continentales ?

La végétation subalpine se présente comme une mosaïque de pelouses (gazons ras, sous l’action du pâturage, dominés par le nard raide, de formations à hautes herbes de bord de cours d’eau, et de groupements arbustifs nains dominés par les buissons d’aulne odorant (Alnus viridis ssp. suaveolens), et où l’érable sycomore, le sorbier des oiseleurs, et parfois le hêtre et le bouleau, viennent s’immiscer. Mais, l’aulne odorant domine largement et tend à coloniser les pâturages abandonnés. Cette sous-espèce de l’aulne vert, isolée des populations alpines depuis 20 millions d’années, occupe en Corse tous types de situations, depuis les versants abrupts sur éboulis siliceux jusqu’aux milieux tourbeux et aux dépressions glaciaires, au-delà de 1600 mètres d’altitude.

A l’aide de quelques coups de projecteurs sur la richesse fongique des hautes montagnes corses, voici quelques éléments de réponse à ces questions : petit tour d’horizon des espèces rencontrées entre 1600 et 2200 mètres d’altitude.

Sous la pozzine, la tourbe…


Dans ces prairies rases, la diversité floristique est limitée : le nard raide (Nardus stricta), occupe quasiment tout l’espace en formant des tapis compacts

Dès que l’on se trouve dans ces situations humides, on rencontre des petites espèces familières des prairies tourbeuses : Coprinus martinii, Galerina jaapii, Hygrocybe helobia, H. conicopalustris, Panaeolus uliginosus, caractéristiques des tourbières mésotrophes soligènes de l’étage subalpin (tourbières de pente d’altitude). Deux espèces habituellement associées à une mousse des tourbières (Aulacomnium palustre) : Galerina rubiginosa et Rickenella fibula var. hydrina, prolifèrent ici sur la litière de nard, malgré l’absence de mousse, ce qui illustre une adaptation inédite à ce milieu. La tourbe formée par cette litière lentement accumulée et compactée amène quelques espèces habituellement typiques de la tourbe à Carex, en particulier Hypholoma subericaeum.

En mélange avec ces champignons habituels des tourbières, d’autres espèces indiquent une forte pression de pâturage; il s’agit notamment d’Agrocybe pediades, Panaeolina foenicesii, autant d’espèces habituelles des pâturages amendés.

Mais notre attention a surtout été attirée par deux Gastéromycètes insolites : Bovista dermoxantha, une petite espèce à endopéridium jaune, trouvée régulièrement dans les zones les plus sèches, près du plantain sarde (Plantago sardoa) et surtout Lycoperdon ericaeum var. stipitatum, une vesse-de-loup à gros pied présente en abondance dans les nardaies non encore répertoriée en Corse, et apparemment caractéristique de ce milieu.

Les espèces rencontrées suggèrent une forte ressemblance avec les milieux alpins. Mais il est encore difficile de savoir si les espèces « manquantes » par rapport au continent seront découvertes lors de prochaines visites, ou si elles illustrent la différence principale avec les milieux continentaux.

Quelques récoltes d’entolomes, encore à l’étude, laissent enfin présager l’existence d’au moins une espèce nouvelle, peut-être endémique…

Les aulnaies buissonnantes


Les buissons d’Alnus viridis ssp. suaveolens de Corse, sont aussi riches en espèces que les aulnaies des Alpes, et présentent les mêmes espèces caractéristiques : Lactarius alpinus (le lactaire alpin, un « sosie » de la girolle !), Lactarius lepidotus (le plus petit lactaire européen, miniature gris de cendre du précédent), Russula alnetorum (la seule russule associée à l’aulne vert), et une quinzaine d’autres merveilles plus discrètes, toutes inconnues jusqu’alors en zone méditerranéenne.

Les hêtres en mélange apportent également quelques espèces plus banales, notamment des cèpes (Boletus edulis), assez inattendues dans de tels milieux !

Les seules différences entre les aulnaies vertes des Alpes et celles de Corse résident dans l’absence en Corse de quelques cortinaires caractéristiques des vieilles aulnaies alpestres (Cortinarius kuehneri et C. moseri), et inversement sur l’absence d’Alnicola inculta dans les Alpes. Si l’essentiel du cortège fongique est commun entre les Alpes et la Corse, d’où viennent les petites différences observées ? Elles sont la traduction la plus apparente de l’évolution de ces deux milieux si semblables, mais séparés depuis plusieurs millions d’années. D’autres différences pourraient bien résider dans de plus discrets détails, qui se révéleront peut-être au microscope…

Ces quelques pièces supplémentaires au puzzle, encore bien incomplet, de la mycoflore corse illustrent, la diversité de cette île, où presque tous les milieux d’Europe occidentale sont représentés, de la zone thermo-méditerranéenne à l’étage subalpin.

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